- Laissez place ! Poussez-vous ! Dame Conchita arrive !!

Mes serviteurs poussaient du pied, voir à coups de cravaches les gueux qui encombraient le passage. Ce n'est pas que je ne sois pas proche du petit peuple... Non, j'ai assez bon goût pour apprécier les petites choses. C'est seulement~ Que j'avais besoin d'air. Celui, vicié, de la ville, ternissaient les restes de dessert que je mangeais encore alors que ma calèche avançait entre les rues froides et étroites.
Il faisait frais pour cette matinée de printemps mais un beau soleil étincelant éclairait le pavé comme si nous étions à l'intérieur même de cette sphère dorée. Je me demandais quel goût avait le soleil...? Peut-être un jour serait-je capable de le décrocher et d'enfoncer mes crocs dans cette brioche d'où s'écoulerait un jus d'astre tout à fait succulent ? Oui, je n'en doutais pas !
Si je faisais l'honneur à la population de me déplacer ainsi jusqu'au centre du village, c'était car j'avais entendue parler d'un jeune enfant talentueux. Les talents n'étant malheureusement pas appréciés à leur juste valeur dans ce pays, il s'était retrouvé en prison. Son art semblait avoir déplu... Quel manque de goût avaient donc ces personnes ! Comment peut-on laissé enfermer un tel prodige ?
Les rumeurs qui avaient courues jusque dans les oreilles de mes deux serviteurs parlaient d'un petit sorcier dont chaque aliment touché se transformait en délicieux, juteux et visqueux poison corrosif. Quel goût ces aliments autrefois ordinaires auraient alors ! Quel assaisonnement cela donnerait à mes plats ! Un sourire s'étendit sur mes lèvres alors que je croquais l'assiette où s'était trouvé mon dessert.
La calèche s'arrêta. On posa un tapis sous mes pieds pour que mes escarpins ne se salissent pas et j'entrais, déterminée, dans l'immense prison dont les odeurs sales pouvaient éveiller un appétit plus malsain.
Mes deux serviteurs m'entouraient désormais, surveillant férocement que personne ne daigne s'approcher de moi. Un garde de la prison m’amena jusqu'à la porte de sa cellule. Une somme colossale avait déjà été versé pour que je puisse récupérer l'enfant sans le moindre problème. Je me tenais droite devant les barreaux, imposante comme à l’accoutumée et élégante comme on me l'avait apprit. Ma langue passa un instant dans la commissure de mes lèvres avant de disparaitre à nouveau dans le puits secret de ma bouche.

- Alors c'est toi, mon nouveau cuisinier ? On m'a dit que tu étais un prodige dans ce domaine, est-ce vrai ?

J'étais très curieuse et avait aussi peur que mes attentes soient déçues... Auquel cas je pourrais me montrer sans pitié ! Mais je pressentais une bonne fin à cette mise en bouche.

- Si tu veux bien me rejoindre au château pour travailler pour moi... Tu auras ma protection. Et évidemment, tu pourras sortir d'ici. Dis-je sur un ton chaleureux.

Capturé ! Déjà ? C'est pas vrai ! Le sale mioche fixait le sol de sa cellule, grommelant, tirant de temps à autre sur ses chaînes en gémissant. Impossible ! Commment avait-il été... C'était cette jeune fille ! Elle n'avait pas goûtée la nourriture qu'il lui avait pourtant si gentiment préparée ! Elle avait tout jetée discrétement pendant que sa famille mourrait doucement à cause du poison. Puis elle était allée prévenir les gardes ! Quelle sale...
L'enfant fulminait. Comment sa vie avait-elle pu prendre un si mauvais tournant ? Pourquoi n'avait-il pas tout simplement penser à surveiller que tout le monde finisse bien son assiette ?!
Maintenant, ce qui l'attendait, c'était le gibet ! Ou alors pire, si jamais on faisait le lien avec ses parents...
S'adossant violemment au banc froid de la prison, il se cogna brutalement la tête contre la pierre. Une, deux et trois fois. Il râgeait d'avoir ainsi été attrapé ! Si seulement il avait fait plus attention !

- Hé, l'empoisonneur... Quelqu'un vient pour toi !

Lui avait jeté un garde comme on jette à un chien des restes de repas. Le gosse lui avait répondu en le regardant d'un air froid.
Qui venait donc pour lui ? Un avocat ? Ou ce juge verreux qui fait tellement parler de lui en ce moment... Si son intéret avait, certes, été éveillé et qu'il cogitait désormais à toute autre chose que l'idée déprimante de sa future mort, ce n'était pas pour autant qu'il se trouvait de meilleure humeure. Mais lorsqu'une femme habillée en princesse débarqua dans la prison, le garde lui-même eut la mâchoire qui semblait rejoindre le plancher. Un instant, les yeux du garçon s'éclairèrent, comme un vrai enfant qui viendrait de voir une reine de conte de fées... Mais cela ne dura pas. Il reprit un air sérieux et défiant, un peu comme un animal coincé dans une cage... Ce qu'il était un tout petit peu.

- Alors c'est toi, mon nouveau cuisinier ? On m'a dit que tu étais un prodige dans ce domaine, est-ce vrai ?

Il pencha la tête un instant, puis un sourire ironique se dessina sur ses lèvres. Elle est... Malade ? Qu'est-ce qu'on a bien pû lui raconter, à elle ? Qu'il avait fait un plat si bon qu'on l'avait enfermé ici pour le remercier ? Hé, je fais du poison, moi, ma dame ! Je suis pas un cuisinier ! Et certainement pas TON nouveau cuisinier.

- Je crains qu'on vous ait trompé, ma dame. Dit-il on ne peut plus poliement. Mais il fût bien vite interrompu.

- Si tu veux bien me rejoindre au château pour travailler pour moi... Tu auras ma protection. Et évidemment, tu pourras sortir d'ici.

- Alors je serais, sans hésiter, votre nouveau cuisinier ! Il voulait sortir d'ici oui ou non ? Quelle idiote ! Elle se ferait bien vite empoisonner et il pourrait fuir ! N'était-ce pas ce qu'il voulait ? Dire qu'il avait faillit passer à côté de cette chance.
Il regarda, stupéfait, le garde entrer dans sa cellule pour le libérer. Il se leva du banc, tremblant un peu car cela faisait longtemps qu'il n'avait pu en bouger, et avança, s'arrêtant en face de la dame. Il s'inclina même si ses articulations craquaient un peu.

- Mon nom est Badyr Orly et je suis heureux de vous servir... Maîtresse...? Il lui manquait le nom de sa future victime.

- Sa Majesté s’appelle Banica Conchita. Répondit Gretel, se plaçant devant moi. Elle gardait sa tête relevée, le menton bien haut, snobant parfaitement le délicieux petit cuistot.
Lui souriant un instant, je fis demi-tour de manière magistrale, faisait froufrouter mes dentelles. Je relevais le pan de ma robe d’une main et de l’autre j’attrapais un morceau de steak qu’un garde transportait sur un plateau vers une cellule voisine. Raté, celui-là, il est pour moi ! ♥ Je croquais dedans avec vigueur, arrachant la viande rance en à peine quelques secondes. Mes pas s’empressèrent de me mener à la calèche qui m’avait attendue à l’entrée. Naïvement, je jetais un regard presque curieux en direction d’Hansel qui maintenait fermement par le bras le petit garçon dodu. …Au moins, je ne perdais pas au change. Mon ancien cuisinier était d’un maigre… Celui-là sera bien juteux, assaisonné en rôti ! Mais d’abord, il fallait patienter. Après tout il est des plats qui se mangent froids et je me devais de goûter les plats si célébrement écœurant du jeune homme avant de décider de son assaisonnement !
Je montais donc dans la calèche et regardais par la fenêtre, déjà ennuyée. Je léchais avec avidité mes doigts, encore pleins de sauce. Il y avait-il un repas pour le trajet ? Je craignais fort que non… Petit soupir de ma part… Nous ferons quelques haltes en chemin alors. La calèche démarra donc lentement et le crissement de ses roues me rendaient folle… Elles me faisaient penser au bruit d’un os qui craquait sous ma dent. Je frémis plusieurs fois avant de céder à mi-chemin. Il y avait une auberge en cet endroit. Je dis sèchement au cocher d’arrêter et m’empressais follement de descendre, mettant à mal mes serviteurs qui cherchaient à installer, sous mes pas graciles de biche, le tapis rouge.
- Aubergiste ! Scandais-je. Servez-moi l’intégralité de votre carte. C’est une honte que je ne sois jamais venue ici ! Rajoutais-je en riant doucement. Bien entendu, je n’avais pas choisie la première auberge venue. J’avais beau être proche du peuple, il me fallait me montrer digne de mon rang. L’auberge était donc belle et savante, et j’osais saliver à l’idée qu’elle pouvait me servir quantités de plats élaborés et inhabituels. Avec un peu de chance, il y en avait au moins un que je n’aurais pas encore goûté !
Tout à mes appétits, j’oubliais le petit cuisinier. Je le pris par l’épaule d’un geste maternelle et me penchait vers lui…

- Si jamais il reste quelque chose à dévorer une fois moi-même repue, tu pourras sans problème y goûter !